Symposium sur l’accès aux médicaments contre le cancer
L’accès aux médicaments contre le cancer en Suisse a été au cœur du symposium organisé jeudi dernier à Berne. Comment garantir les traitements nécessaires de façon sûre et équitable à tous les patients? Une centaine de spécialistes de premier ordre se sont penchés sur cette problématique complexe, pour laquelle il n’existe pas de solutions toutes faites.
Comment garantir que tous les patients qui souffrent d'un cancer aient accès aux médicaments dont ils ont besoin et dont leur vie dépend bien souvent? Dans le cadre du symposium qui a réuni à Berne des participants de premier plan, une centaine de spécialistes et de représentants issus de l'administration, de la politique, de la médecine, de l'industrie pharmaceutique, des assurances-maladie et des organisations de patients ont présenté les difficultés actuelles et discuté de pistes pour résoudre cette problématique complexe.
Le professeur Jakob R. Passweg, président de la Ligue suisse contre le cancer, a résumé d'entrée de jeu les deux principaux problèmes lors de cette réunion organisée par la société allemande RS Medical Consult: "Le premier problème, c'est la pénurie qui frappe certains médicaments qui ont fait leurs preuves suite à la pression internationale sur les prix sur le marché des génériques. Le deuxième problème concerne les nouveaux médicaments: ils sont souvent chers et leurs indications ont tendance à devenir plus étroites. Ce développement a pour conséquence l'accès aux prescriptions hors indication (off label) de médicaments contre le cancer qui sont remboursés par certaines caisses-maladie mais pas par d'autres."
Pénurie: pas de solution nationale à un problème mondial
En cherchant des pistes pour enrayer la pénurie aiguë de médicaments indispensables pour le traitement de maladies cancéreuses mortelles, les participants ont relevé que les moyens d'action sont limités pour un petit pays comme la Suisse. Le problème est une conséquence de la mondialisation. Il est dû à la pression accrue sur les prix à travers le monde, à la concentration croissante de la production sur un petit nombre de sites, au renforcement des normes de sécurité et à la hausse de la demande internationale, notamment pour les médicaments contre le cancer qui ont fait leurs preuves, comme les produits utilisés en chimiothérapie.
Si certains participants ont jugé le battage médiatique de ces derniers mois exagéré, Enea Martinelli, pharmacien-chef des hôpitaux de Frutigen, Meiringen et Interlaken, a confirmé que les difficultés d'approvisionnement s'accentuent pour des produits de niche comme les cytostatiques. Il a critiqué l'absence d'un organe chargé de garantir l'approvisionnement: en Suisse, chaque hôpital doit mettre en place ses propres solutions. Pour les préparations médicales essentielles, Enea Martinelli a réclamé l'obligation pour les producteurs d'annoncer une pénurie à l'avance à un organe central. Pour lui, c'est là le seul moyen pour que les pharmacies des hôpitaux puissent réagir à temps.
Quand l'éthique médicale se heurte aux impératifs économiques
Deuxième thème clé du symposium: l'équité en matière d'accès aux médicaments. Le problème est lié à l'article 71 a/b de l'Ordonnance sur l'assurance-maladie (OAMal), qui règle depuis mars 2011 la prise en charge des médicaments prescrits hors indication (off label). En cas de prescription off label d'un médicament - on entend par là une indication, une forme d'utilisation ou un dosage autres que ceux autorisés d'après la liste des spécialités de l'Office fédéral de la santé publique -, la décision de rembourser ou non le traitement et le montant du remboursement dépendent des seuls assureurs-maladie. Si de nombreuses caisses se montrent conciliantes, on constate néanmoins des différences d'une région et d'un assureur à l'autre. En d'autres termes: l'accès aux nouveaux médicaments innovants n'est pas garanti à tous les patients en Suisse; concrètement, il peut donc arriver qu'un traitement potentiellement efficace qui présente une importance vitale pour un patient lui soit refusé pour des motifs d'ordre économique.
La Société suisse d'oncologie médicale (SSOM) et plusieurs grandes caisses-maladie ont défini il y a quelque temps déjà des critères et développé des modèles pour évaluer le bénéfice potentiel des usages hors indication des médicaments de manière aussi uniforme, transparente et équitable que possible - une base indispensable pour la décision des assureurs-maladie. Il ne s'agit toutefois que d'un petit pas dans la bonne direction. Une solution applicable à l'ensemble de la branche de l'assurance-maladie s'impose de toute urgence pour supprimer les disparités existantes. En laissant des considérations d'ordre économique saper les principes mêmes du serment d'Hippocrate et de la liberté thérapeutique du médecin, on s'achemine vers un rationnement implicite intolérable dans un pays comme la Suisse.
La Ligue suisse contre le cancer reste active
Les autorisations de mise sur le marché et la prise en charge des médicaments par l'assurance-maladie obligatoire accusent toujours un retard important par rapport aux progrès fulgurants des connaissances médicales. Ici encore, il est indispensable d'adopter une solution à l'échelon national pour régler la collecte, l'évaluation et l'utilisation pour de futurs traitements du savoir acquis par l'usage hors indication de médicaments.
En bref, il s'agit de jeter des ponts pour réduire l'écart entre l'expérience des médecins et le savoir scientifique, collecté par exemple par les études cliniques. Le professeur Thomas Cerny, président de la fondation Recherche suisse contre le cancer, qui a dirigé les débats lors du symposium, a clos la discussion animée sur cette remarque: "Pour trouver des solutions efficaces aux problèmes qui se posent, nous avons besoin de créativité, d'esprit d'entreprise et de discussions constructives comme celles d'aujourd'hui avec toutes les parties impliquées."
La Ligue suisse contre le cancer poursuit ses efforts dans ce domaine: elle a mandaté une étude scientifique pour réunir des éléments solides sur l'usage hors indication des médicaments en Suisse. Des cas concrets avec des données anonymisées montreront les conséquences dramatiques que la réglementation actuelle peut avoir pour certains patients. L'objectif final est de trouver une solution aux problèmes actuels afin de garantir l'accès aux médicaments de manière fiable et équitable dans l'intérêt de tous les patients.