Accès équitable aux médicaments anticancéreux – du problème à la solution
L’utilisation hors étiquette « off-label use » = OLU) de médicaments anticancéreux est fréquente en Suisse et va encore augmenter. L’étude mandatée par la Ligue suisse contre le cancer et publiée aujourd’hui par INFRAS livre pour la première fois des chiffres sur l’ampleur du phénomène en Suisse, estimés à jusqu’à 20 000 traitements OLU par an, soit environ un tiers de tous les cas de cancer.
L'absence d'homogénéité dans le remboursement de ces traitements par les assureurs-maladie s'avère problématique. La réglementation actuelle est insatisfaisante et la situation est inéquitable pour de nombreux patients atteints de cancer, car certains se voient privés d'un traitement potentiellement efficace, tandis que ce même traitement est remboursé dans d'autres cas. L'étude ébauche des solutions sur la manière dont l'OLU pourrait être réduit, l'appréciation du bénéfice thérapeutique standardisée et le remboursement réglementé de manière uniformisée à l'échelle de la Suisse. L'objectif premier est un accès sûr et équitable pour tous aux médicaments anticancéreux.
Si les médicaments autorisés pour traiter un cancer et utilisés de manière courante chez un patient atteint de cancer n'agissent pas ou plus, le médecin traitant soumet souvent une demande de prise en charge des coûts pour un traitement dit " hors étiquette ". Un médicament est alors prescrit à une posologie différente, selon un mode d'administration différent ou utilisé dans une autre indication (tableau clinique ou stade de la maladie, par exemple) que ceux qui sont autorisés. Quant à savoir si et à quel niveau de remboursement les assurances-maladie prennent en charge les coûts des médicaments pour l'OLU, chaque assurance-maladie en décide après avis de son médecin-conseil. Ce qui est choquant, c'est que, dans un cas, les coûts sont pris en charge par l'assureur alors que, dans un autre cas comparable, ils ne le sont pas. Il en résulte un accès injuste et plein d'incertitude aux médicaments anticancéreux, dans lequel le patient en est pour ses frais.
Nécessité d'agir dans une situation intenable
Les résultats de l'étude " Sécurité et droits d'accès aux médicaments prescrits hors étiquette en oncologie ", menée par le bureau de recherche et de conseil INFRAS et publiée aujourd'hui, montrent que ces situations injustes et éprouvantes pour les personnes concernées ne sont nullement des exceptions. " Avec cette étude, nous voulons, d'une part, livrer des faits pour sensibiliser l'opinion publique et les responsables politiques à cette problématique et, d'autre part, enclencher des solutions pour désamorcer le problème en concertation avec les acteurs impliqués. Car la situation actuelle est intenable pour les personnes concernées et insatisfaisante pour nous, médecins ", résume le Prof. Jakob R. Passweg, médecin-chef Hématologie à l'Hôpital universitaire de Bâle et président de la Ligue suisse contre le cancer.
Une estimation allant jusqu'à 20 000 cas d'OLU par an
L'étude INFRAS s'appuie sur une vaste recherche bibliographique et documentaire, sur l'analyse de données OLU fournies par plusieurs assurances-maladie ainsi que sur une enquête qualitative menée auprès de 23 représentants du corps médical, des assureurs, des autorités, des entreprises pharmaceutiques, de sociétés de discipline, notamment. Elle évalue le nombre des cas d'OLU en Suisse dans le domaine du cancer entre 7000 et 10 000 par an, étant entendu que ce chiffre devrait en réalité être nettement plus élevé. Selon des indications des assureurs, quelque 50 % des cas d'OLU ne sont pas recensés. Figurent dans ce nombre des médicaments utilisés hors étiquette dans le domaine hospitalier stationnaire ou des prestations hors étiquette qui n'apparaissent pas comme telles à l'assurance-maladie ou qui sont de peu d'importance. Selon les indications des assureurs interrogés, les cas d'OLU sont remboursés dans leur grande majorité (80 à 99 % des cas), alors que dans 1 à 20 % des cas, la prise en charge est refusée. Des chiffres concrets, systématiquement recensés, sur ces cas manquent toutefois encore pour l'instant.
Un patient atteint de cancer sur trois est traité hors étiquette
Une étude en cours menée dans les hôpitaux de Suisse orientale montre que, sur environ 1000 cas analysés, 34 % des patients atteints de cancer avaient été traités au moins une fois par un médicament OLU. Rapporté à tous les médicaments anticancéreux administrés, la proportion d'OLU était de 28 %. Seuls tout juste 10 % des cas d'OLU concernaient des principes actifs utilisés en oncologie ; dans la grande majorité des cas d'OLU, il s'agissait de chimiothérapiques classiques. Dans une étape ultérieure, les coûts de traitement moyens par médicament anticancéreux seront calculés dans cette étude et l'on procédera à une comparaison des coûts entre traitement hors étiquette et traitement par des médicaments classiques (" on-label ").
Des exemples de cas cliniques illustrent l'injustice
Afin d'illustrer la problématique OLU à l'aide d'exemples concrets, La Ligue suisse contre le cancer a collecté plus de 30 cas bien documentés et anonymisés. Ce qui est particulièrement choquant dans la situation actuelle, c'est que des cas comparables soient remboursés de manière différente. Comme le souligne le Prof. Daniel Betticher, médecin-chef de la Clinique médicale de l'Hôpital cantonal de Fribourg, membre du comité de la Ligue suisse contre le cancer et membre du groupe de travail OLU de la Société suisse d'oncologie médicale (SSOM) et de la Société suisse des médecins-conseils et médecins d'assurances (SSMC) : " Pour un patient atteint d'un cancer métastatique agressif, il est extrêmement éprouvant d'apprendre qu'une assurance-maladie refuse la demande de prise en charge des coûts pour un traitement hors étiquette bien que, selon des études cliniques de grande ampleur, ce traitement soit efficace et que le remboursement ait été pris en charge par le même assureur ou par un autre assureur dans des cas similaires. Pour moi, en tant qu'oncologue, ce n'est ni médicalement compréhensible ni éthiquement acceptable. "
Des ébauches de solution concrètes montrent la voie à suivre
La majorité des experts interrogés par INFRAS reconnaît que, s'agissant de l'OLU en oncologie, il est urgent d'agir. C'est pourquoi l'étude passe en revue des ébauches de solution possibles et procède à une première évaluation des propositions - en prenant en compte également les expériences faites à l'étranger. Les auteurs recommandent de contrôler suivre les objectifs et les orientations suivants et d'en poursuivre la concrétisation :
- Limitation des cas d'OLU par la simplification de l'autorisation de mise sur le marché en cas d'élargissement d'indications ainsi que la possibilité de voir cet élargissement également demandé par des tiers (médecins ou sociétés de discipline, par exemple).
- Uniformisation de la procédure d'évaluation du bénéfice thérapeutique par l'instauration d'un modèle d'évaluation du bénéfice thérapeutique ayant valeur contraignante pour tous les assureurs afin de garantir un traitement identique dans des cas comparables (modèle de branche). Et par la création d'un organe d'experts indépendant pour les décisions contraignantes portant sur des cas (très) rares, qui ne peuvent pas être déterminées via le modèle d'évaluation du bénéfice thérapeutique.
- Réglementation du financement du remboursement par une participation plus élevée des entreprises pharmaceutiques aux coûts liés aux médicaments hors étiquette afin de garantir un remboursement axé sur le bénéfice thérapeutique.
Prochaine étape : un atelier réunissant des acteurs importants
Pour discuter des ébauches de solution avec les parties impliquées et initier des étapes concrètes, est organisé cet après-midi un atelier réunissant des représentants du corps médical/des fournisseurs de prestations, des assureurs-maladie, des médecins-conseils, des autorités ainsi que des entreprises pharmaceutiques et des sociétés de discipline. Le Prof. Thomas Cerny, médecin-chef Oncologie/Hématologie à l'Hôpital cantonal de Saint-Gall et président d'Oncosuisse, en est convaincu : " C'est seulement si toutes les parties prenantes apportent leur contribution que nous maîtriserons ce problème. Ce qu'il faut, c'est de la créativité et la volonté de trouver des solutions en commun. Pour un pays qui se targue de posséder l'un des meilleurs systèmes de santé au monde, c'est bien le moins que nous devions aux patients touchés par le cancer. "